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Interviews

Market Research dans le monde d’après, avec Laurence Duchier et Marjolaine Grondin

Laurence Duchier

Qualitativiste depuis plus de 20 ans, Laurence est en charge des départements Service & Mobilité chez June et investie dans le développement de partenariat avec des acteurs connexes

Marjolaine Grondin

Cofondatrice de Jam il y a 6 ans & CEO de Jam, 1er média conversationnel français sur la Gen Z. Elle a rejoint June pour développer les études conversationnelles & le content sur les 15-25 ans en février 2022


Analytics & Insights : La crise sanitaire a profondément secoué le monde des études marketing et de la connaissance consommateurs : pour toi, s’agit-il plus d’une rupture ou d’une accélération de tendances déjà existantes ?

Laurence Duchier et Marjolaine Grondin : La crise du COVID a contribué de façon positive à faire évoluer nos métiers, comme c’est le cas souvent en situation de crise, et apparait aujourd’hui comme un accélérateur de pratiques jusqu’alors naissantes. L’utilisation des outils de visio-conférence a permis notamment de faire un bond en avant dans nos pratiques digitales, amorcées par le quanti il y a des années, suivies par les communautés et les plateformes digitales que nous utilisons au quotidien. En quali, ces outils de visio-conférence nous donnent accès à un potentiel de recrutement élargi, à des profils que nous n’aurions pas pu rencontrer, enrichissant ainsi les insights que nous recueillons, les signaux faibles, pour être encore plus à l’écoute et nous approcher de l’authenticité qui est si précieuse dans nos métiers. La profondeur de nos approches n’est pas remise en cause, bien au contraire !

Nous ne poussons pas vers une digitalisation complète, les vertus du face-à-face sont éminemment prouvées, mais nous recommandons de tenir compte de ces évolutions, quitte à se poser la question systématiquement : quelle approche répond le mieux aux enjeux stratégiques auxquels nous devons répondre ? Comment les combiner et faire en sorte de tirer le meilleur parti de l’ancien et du nouveau monde ? Chez June, nous croyons à l’hybridation heureuse des méthodes, des outils, pour mettre l’humain au centre de nos réflexions et des stratégies de nos clients. Pas de dogme, nous avançons en marchant …

Nous pouvons également solliciter les consommateurs en les rendant acteurs, partenaires de démarches de co-construction grâce aux multiples outils disponibles – Mentimeter, GoogleSlides, Mural, Kahoot ! – tendance de gamification, d’échange déjà amorcée avant la crise et qui s’est largement amplifiée. Nous croyons beaucoup en ces approches et chaque nouvelle expérience souligne à quel point cela permet de réinsuffler une dynamique, de l’énergie, du sens aussi bien en interne chez nos clients, qu’entre nos clients, les clients finaux et nous. Il devient difficile de faire venir les consommateurs dans des salles de groupe, ils ont goûté au confort du groupe de la maison, au risque d’y participer depuis leur lit…

Il nous faut aujourd’hui leur faire vivre une expérience en face-à-face, créer les conditions de l’’hyper physique’, de la même façon que nous devons créer un « hyper digital ».

Enfin, dans la manière dont nous partageons nos résultats, les évolutions ont été particulièrement rapides : l’essentiel de notre relation client s’étant digitalisée, nous nous attachons à continuer à la nourrir et à soutenir l’intérêt pour les études. Ce qui signifie que la communication des résultats doit être repensée afin de mobiliser les équipes par des formats impliquants et ludiques – sous la forme de petits sondages, de quizz, d’animation via le chat, de livrables en format vidéo, des infographies, ou même des masterclass directement chez nos clients … Pour finir, toutes les facettes de nos métiers ont évolué et cela permet de nous stimuler, de faire un pas de côté pour sortir du cadre et réaffirmer notre raison d’être.

Analytics & Insights : Face à l’accélération actuelle, il faut faire preuve de souplesse, d’agilité …

Laurence Duchier et Marjolaine Grondin : L’agilité est au cœur de structures de taille moyenne comme la nôtre, elle est même vitale ! La capacité à réagir, à s’adapter aux évolutions technologiques, à intégrer la vision de nouveaux métiers, est une composante de notre organisation et des réponses que nous apportons. Nous avons à cœur de travailler, de réfléchir ensemble, tous avec nos expertises quali, quanti, planning, social media… dès que nous recevons un brief. Cela avec d’autant plus de facilité que nous sommes tous sur le même plateau et habitués à nous solliciter les uns et les autres.

Par ailleurs, nous développons un écosystème de partenaires en fonction des questions qui se posent afin de gagner en expertise et en pertinence. C’est le cas par exemple de Ksapa, cabinet de conseil et d’accompagnement vers des modèles durables, avec lequel nous réfléchissons aux problématiques de RSE. Nous pouvons demain aller chercher la compétence dont nous avons besoin et ainsi évoluer, gagner en expertise, au service de la réflexion de nos clients.

Analytics & Insights : De nouveaux acteurs issus du monde des technologies sont apparus dans le champ de la connaissance consommateurs ces dernières années : comment se situent les acteurs plus traditionnels dans ce nouveau paysage ?

Laurence Duchier et Marjolaine Grondin : Il nous semble que nous devons intégrer la présence de ces nouveaux acteurs et explorer de nouvelles pratiques, avancer ensemble et non pas contre…

Dans cette perspective, Jam nous a rejoint il y a 3 mois : Jam est le premier média conversationnel en France, spécialisé depuis 2015 sur la connaissance de la GenZ. Aujourd’hui, c’est une communauté de 700 000 jeunes en conversation quotidienne avec un chatbot à la ligne éditoriale unique et surprenante, via les messageries instantanées (Messenger, Instagram, Tiktok, Whatsapp…). Le mode conversationnel est un nouveau chapitre des études, il revisite la relation que nous entretenons avec les consommateurs en s’inscrivant dans des modalités horizontales : en échange de réponses, nous donnons accès à de l’information, du contenu, voire de la data issue de nos études.

Cette approche permet de faire tomber les barrières, notamment sur cette cible jeune, qui peut parfois se sentir impressionnée par un dispositif d’étude. Là, au contraire, grâce à la ligne éditoriale et à la personnalité du chatbot, une réelle intimité se crée avec la communauté et cela amène les membres de la communauté à se livrer pleinement et même parfois de façon surprenante. On s’approche d’une nouvelle forme d’authenticité de l’insight.

Cette nouvelle forme d’interrogation alimente le partage d’insights que nous récoltons. Jam étant en échange quotidiennement avec cette communauté Gen Z depuis plusieurs années, nous avons à notre disposition une banque d’insights d’une grande richesse sur leur consommation, leurs habitudes, mais aussi leurs positions sur des sujets d’actualité ou les tendances culturelles du moment, que nous partageons de façon illimitée avec nos clients sous la forme d’un abonnement annuel. Ainsi, chacun peut venir développer sa connaissance de la Gen Z à son rythme, sur les thématiques de son choix.

Bien que la conversation via messageries instantanées au travers d’un chatbot soit naturellement adressée aux jeunes générations, c’est aujourd’hui un canal que tout le monde utilise. Dans les semaines à venir, nous allons explorer la possibilité de développer un dispositif similaire sur d’autres profils et les possibilités sont infinies. On peut ainsi imaginer un chatbot qui accompagne les fumeurs dans leur démarche d’arrêt ou de diminution du tabac, des mères lors de leur grossesse, de consommateurs entrant dans un parcours client défini…

Une manière de sortir de la mécanique de question-réponse, du caractère marchand lié aux incentives et d’aboutir à un engagement dans la durée qui, nous le croyons, sera la source de renouvellement et de réenchantement de nos métiers.