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Mobilité et Sobriété, avec Alain Tripier #1

Alain Tripier

CEO de SEREHO

Membre du Comité Scientifique de l’Adetem


Analytics & Insights : Après un 20ème inféodé à l’automobile, les attentes et comportements des Français en termes de mobilité ont profondément évolué …

Alain Tripier : Sans nul doute le singulier ne sied pas à cette notion !

Quel point commun entre le CSP ++ urbain dans son SUV de flambant neuf de 2 tonnes, thermique ou électrique, et l’employée d’une association de service à la personne à domicile, à la campagne, n’ayant d’autre choix que de faire sa tournée, matin et soir, dans une voiture hors d’âge !

Quel point commun entre le commuter d’Ile de France bénéficiant d’une offre dense de transport en commun, certes perfectible, et le lycéen rural obligé de se lever à pas d’heure pour attraper le seul bus ou le TER parfois très éloigné de son lieu de résidence !

On peut multiplier les exemples à l’infini ! Nous sommes loin d’être égaux devant les problématiques de mobilité !

Depuis quelques années la mobilité douce ou la mobilité active font le buzz dans les gazettes. Marche, vélo, trottinette, etc., sont des options naturellement réservées aux citadins. L’intermodalité vient de suite à l’esprit ! A condition que l’offre soit diversifiée, le citoyen peut par exemple combiner les transports en commun et des moyens de déplacements individuels, ce que le monsieur Jourdain de la mobilité fait depuis des lustres en se rendant par exemple à une gare à pied ou avec une voiture.

L’opposition fondamentale entre la « bagnole » et le reste est toujours aussi vive, qu’elle soit choisie ou contrainte.

Le règne de la voiture a commencé très tôt à une époque où les performances et la fiabilité n’étaient pas toujours au rendez-vous. Rappelez-vous ! A la fin du 19ième siècle et au début du 20ième, la France était maillée par réseau de voies ferrées secondaires (voies métriques) : environ 24 000 km construits entre 1870 et 1914.  Après la 1ère guerre mondiale, le déclin commence pour arriver en 1938 à un reliquat de 6 000 km de voies métriques et 42 000 km de grands réseaux, à l’apogée. Notons qu’en 2019 le réseau ferré ne compte plus que quelques trains touristiques en voie métrique et 27 000 km de réseau classique.

En ce qui concerne le trafic voyageur, au cours des dernières décennies, la politique du tout TGV, dont on revient actuellement, a massacré les dessertes locales, interrégionales, et au passage les trains de nuit.

Aujourd’hui la région est l’autorité organisatrice de la plupart des moyens de transport collectif. C’est généralement le budget le plus important de la région qui couvre principalement le TER, les autocars, et les transports scolaires. Comme on peut s’y attendre, l’Ile de France constitue un cas particulier, mais toutes les régions tentent d’innover et d’offrir des alternatives ou des combinaisons efficaces entre la voiture, pas toujours soliste, les transports en commun et les mobilités douces.

Localement les intercommunalités et les villes développent des efforts considérables dans le même sens. L’offre est en premier lieu matérielle, mais elle s’appuie depuis plus ou moins longtemps sur une ingénierie tarifaire, le Pass Navigo d’Ile de France n’est pas seul au monde ! de nombreux cousins existent et se développent dans les villes et les régions. Par ailleurs un ingénierie numérique foisonnante a permis, bien avant l’obsession de l’IA, de développer sur mobile, mais également par de l’affichage en station, des services performants d’information et d’aide à l’intermodalité.

A grands traits, la différence première entre IDF et régions, réside dans la saturation d’une offre pourtant très dense en IDF et les problèmes de définition et d’adaptation des réseaux en région. Dans un cas comme dans l’autre, le poids des investissements nécessaires est considérable.

L’inflation structurelle des déplacements n’est plus soutenable : en 2019, les Français ont parcouru 940 milliards de km (730 milliards en 1990) dont plus de 80% en automobile. Une fuite en avant dans laquelle le travail porte une forte responsabilité et que ni l’urbanisme, ni la production d’énergie ne peuvent suivre. La concentration des emplois au centre et l’éloignement des habitats en périphérie mettent à l’épreuve les transports et défient les enjeux de densité. Villes et surtout habitants et travailleurs n’en peuvent plus de ces excès, par ailleurs condamnés par les problèmes climatiques.

La demande évolue très nettement depuis quelques années en fonction de deux facteurs principaux :

  • Le développement du télétravail pour celles et ceux qui sont éligibles, sans doute au moins une dizaine de millions d’actifs. Les impacts sur la mobilité sont encore difficiles à mesurer car si les jours télétravaillés réduisent les déplacements, les nouvelles organisations des cadres ancrés dans l’urbain dense mais avec des extensions vers une ruralité plus ou moins proche pour une partie de la semaine peuvent in fine accroitre les distances parcourues
  • Les difficultés économiques des catégories sociales modestes et moyennes, qui conduisent à des organisations nouvelles, notamment face au logement et au transport : habiter plus loin et moins cher par exemple, ou plus radicalement encore, pour les citadins des grandes métropoles, faire le pari de s’installer à la campagne et/ou en région en gardant ou non un lien avec la métropole d’origine, ces trajectoires allant jusqu’à abandonner un emploi pour vivre autrement. Mais, selon la Caisse des Dépôts, dans les petites villes ou dans les zones peu denses, les enjeux de mobilité sont profondément liés au bien vivre des habitants… et à leur pouvoir d’achat. D’où l’importance de proposer des solutions alternatives à la voiture individuelle qui reste dans la plupart des cas un « choix » contraint. Toujours selon la Caisse des Dépôts 13,3 millions de Français sont en situation de « précarité mobilité » (source : mars 2022 / baromètre Wimoov / FNH)

Ces changements de paradigme se frottent à la nécessité, assez généralement admise aujourd’hui, de réagir à l’inflation structurelle des consommations de transports motorisés. C’est aussi une réaction à une fracture territoriale qui oppose métropole et arrière-pays. C’est enfin un sursaut contre le délitement d’urbanité sensible partout.

Rappelons que les 3 paramètres principaux qui régissent la mobilité restent la densité de population, la nature et la densité de l’emploi et la qualité de la desserte en transports en commun

A la pointe de l’évolution, on voit se développer dans des intercommunalités pionnières des « hubs » de mobilité offrant :

  • Une fonction intermodalité pour soulager l’usage de la voiture et offrir des alternatives de déplacement,
  • Une fonction tiers-lieu (Consulter : cerema.fr) multi fonction, allant au-delà des espaces de coworking, qui héberge des aménités urbaines nécessaires dans les territoires.

Les principaux enjeux sont multiples et ambitieux :

  • Réduire significativement le volume de la demande de mobilité motorisée,
  • Favoriser le report modal vers d’autres modes que la VP et encourager les mobilités de proximité,
  • Garantir la continuité territoriale,
  • Optimiser la logistique urbaine des livraisons,
  • Consolider le travail à distance,
  • Encourager une autre urbanité par des médiations de voisinage : le lieu, les liens, les échanges, les mutualisations, bref le bien commun.

Ces convictions ont été consolidées par des observations diverses et par les études Chronos/L’Obsoco qui dès 2014 mesuraient la distance prise par les habitants face à leur ville, parfois son rejet et l’urgence ressentie de retrouver une « ville à portée de main ».

Depuis 2014, l’observatoire des mobilités émergentes mesure l’usage de ces mobilités nouvelles : covoiturage urbain et longe distance, VTC, autopartage, vélopartage, etc.