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Interviews

Market Research dans le monde d’après, avec Pierre Gomy

Pierre Gomy

Head of Marketing, Central and Southern Europe

Kantar


Analytics & Insights : La crise sanitaire a profondément secoué le monde des études marketing et de la connaissance consommateurs : pour toi, s’agit-il plus d’une rupture ou d’une accélération de tendances déjà existantes ?

Pierre Gomy : L’angoisse comme toile de fond progresse sous l’effet de la crise sanitaire qui viens ajouter une strate d’angoisse à des facteurs qui s’accumulent : contexte géopolitique (terrorisme, guerre en Ukraine), écologique (réchauffe climatique, pollution de l’aire et de l’eau biodiversité …), social (retraites …) et économique (inflation …).

On revoyait les montagnes à l’horizon, l’eau redevenait transparente, on voyait des animaux sauvages s’aventure au cœur même de nos villes. Le foyer Familia s’est reconstitué. On a redécouvert l’intérêt de la vie autour de soi, a profité de sa maison, de son quartier. On a douté des villes et un exode vers les fameuses villes moyenne s’est amorcé. Avec la crise sanitaire et la guerre en Ukraine, on a compris notre dépendance sur des produits essentiels (médicaments masques, composantes optroniques, matières premières …) et la logique de réindustrialisation de la France est au cœur de débats.

La crise nous a fait douter d’un modèle sans qu’une vision d‘un mode alternatif clair émerge pour autant, sauf être, trop radical.

Des tendances à l’œuvre se sont accélérées, d’autres plus sous-jacente se sont révélées, mais s’opposent à un mode d’organisation de la société qui n’a pas changé :

  • Les petits commerces sont plébiscités, mais le e-commerce a explosé,
  • La slow-life, mais l’attrait de la société de consommation,
  • L’envie de produits respectueux de l’environnement de la société, mais le pouvoir d’achat,
  • Les mobilités douces et les transports en commun, mais la voiture reste essentielle,
  • Le local mais les grandes plateformes,
  • Le collectif, mais l’individualisme reste au cœur de nos modes de vie,
  • Le réchauffement climatique, mais on rouvre des centrales à charbon,
  • On fait confiance aux marques, mais on ne les juge pas sincères.

Des tendances se sont inversées :

  • La condition des femmes s’est dégradée (violences conjugales, tâches ménagères, prise en charge de l’éducation des enfants, très concernées par les métiers essentielles…), alors que l’Inclusion et la Diversité sont au cœur des débats,
  • Les inégalités se sont renforcées alors que l’on a célébré les métiers essentiels (santé, supermarchés …).

La réponse est-elle la décroissance ou les problèmes de la planète et des humains peuvent il être résolus par la tech ? Ou encore doit-on croire qu’il est trop tard et c’est la théorie de la disparité de l’humanité qui est déjà allé trop loin ?

En tout on state que pour les consommateurs la décroissance n’est plus un tabou. Nos analyses de requêtes sur les moteurs de recherche montrent des pics sur certains sujets mais aussi des tendances durables en croissance soutenue : la surconsommation, l’emballage versus le vrac, le recyclage et l’économie circulaire, les produits financer à visées environnementales ou sociales.

Analytics & Insights : Face à l’accélération actuelle, il faut faire preuve de souplesse, d’agilité …

Pierre Gomy : Dans un VUCA world, l’adaptation rapide est en effet un critère de survie, et nécessaire pour saisir les nouvelles opportunités. Les entreprises agiles ont mieux traversé la crise et la majorité des entreprises évaluent l’agilité comme l‘un des leviers leur permettant de s’en sortir.

Il est essentiel d’être souple et agile pour éviter l’escalade de l’engagement dans des projets.

Dans les études, cela se traduit par le fait d’avoir un retour consommateur en temps réel, à chaque étape importante du développement d’un projet. Cela passe aussi par le partage d’une information commune qui favorise le déploiement d’une intelligence collective au cœur de la notion d’agilité.

Mais la prise en compte de objectifs jamais être négligée. Il faut être souple et agile mais avec une colonne vertébrale qui permet de structurer les actions autour des objectifs stratégique de l’entreprise, de la marque et de sa raison d’être.

Analytics & Insights : Prospective, data, AI, neurosciences, communautés, etc. : dans quelles directions va se développer la recherche dans les mois qui viennent ?

Pierre Gomy : Les grands groupes d’étude, ont amassé des quantités de données depuis des décennies. Dans certains cas, elles ont pu construire des bases de données qui sont autant d’avantages comparatif essentiels pour le développement de l’intelligence artificielle. Pour exister, les intelligences artificielles doivent apprendre sur des masses de données ? Je citerais l’exemple de Brand Z ou de Link chez Kantar.

On commence à utiliser de plus en plus l’IA pour tester des campagnes, des développement d‘innovation, rédiger des conclusions (pas des recommandations), interagir avec des répondants ; l’IA permet de tester en masse, à délais et à prix réduits et fait ainsi émerger des insights inaccessibles avec des approches classiques (exemple de tests de modèle publicitaire Google par Kantar)

A terme on peut imaginer utiliser l’IA pour aider les directeurs marketing (et pour certain, même les remplacer), pour imaginer les scénarios possibles d’évolution des marchés, tester des solutions, prendre des décisions avec des objectifs particuliers à atteindre (profit, volume, respect de l’environnement …) ou encore faire des prévisions.

Si on construisait une base de données de décisions marketing et de leur implication en termes de ventes, parts de marché, construction de marque, on pourrait ainsi imaginer mettre au point un modèle performant. Le problème est le nombre de variables à prendre en compte et le fait que l’humain n’est pas forcément rationnel.

L’analyse des goûts des consommateurs sur la base de leurs navigations, de leurs achats, leurs likes, leurs requêtes, de leurs conversations peut permettre de leur proposer des choix, voir aller jusqu’à la réalisation de l’achat. Le modèle des suggestions pourrait fortement gagner du terrain s’il se révèle pertinent et on intrusif.

On s’affranchit des biais idéologiques, des intuitions, des stratégies de décisions du type « J’aime/Je n’aime pas, Je risque/Je joue la sécurité » et on rend les décisions plus rationnelles, le marketing décidant des priorités et des grands principes, l’humain devant garder le contrôle. Car les décisions rationnelles ne sont pas toujours les meilleures (doubler le prix d’une denrée alimentaire par exemple provoquerait des émeutes). L’incertitude et les émotions limitent de fait l’intelligences artificielle. L’IA ne fait que prolongera le passé et a besoin de donnés pour être nourries. Beaucoup de variables, comment fait-on l’apprentissage ? On aura toujours besoin d’interroger les consommateurs.

Mais attention à ne pas fantasmer : on aime comprendre comment l’intelligence artificielle en est arrivé à ses choix, il faut s’assurer que son processus d’apprentissage intègre l’éthique.

On utilise déjà les neurosciences à l’échelle globale et massivement avec des techniques de reconnaissance faciale et des test implicites : mais les analyses sont encore assez générales, ne nous permettant pas d’aller aussi en profondeur que ce que la recherche en neuroscience peut suggérer.

Il a deux imites : l’une technique (la scalability) l’autre éthique, comme pour l’intelligence artificielle). On peut imaginer que l’étude de la prosodie, ou des objets connectés qui mesurent le taux de sudation, le battement du cœur et l’activité électrique du cerveau, vont pouvoir se développer à plus grande échelle prochainement.

Les dispositifs de neurosciences vont aussi aller au-delà de l’ordinateur ou du smartphone, par exemple devant un miroir, un rétroviseur, une affiche ou une vitrine dans la rue. Notre aptitude à établir les bons partenaires est déterminante comme nous l’avons fait avec la société Affectiva pour le Facial Coding.

Analytics & Insights : De nouveaux acteurs issus du monde des technologies sont apparus dans le champ de la connaissance consommateurs ces dernières années : comment se situent les acteurs plus traditionnels dans ce nouveau paysage ?

Pierre Gomy : Les instituts se sont mis à la page, ou tout du moins sont en voie de réaliser leur mutation en Data & Tech agencies. Les instituts se mettent à la page sur la tech :

  • Développements internes (exemple : Kantar Marketplace, plateforme d’études agiles). On a rattrapé notre retard en 2 ans versus Zappi ou Survey en termes de revenus générés et de qualité techniques ;
  • On progresse également par rachète de société. Exemple de MeMo², le Shazam des études qui permet sur la base de la reconnaissance sonore et de la géolocalisation de révolutionner le monde des post tests.

Une nouvelle concurrence vient de la tech, c’est indéniable, mais ces sociétés n’ont pas la culture du consommateur, ni les équipes expertes qui permettent d’identifier les insights et de faire des recommandations. Dans le même temps, on recrute dans le monde de la tech, ce qui a complétement bouleversé notre process d’innovation. On innove à la manière des boites de tech. On voit donc que les aspects RH sont essentiels dans la réussite de cette transformation.

Cette mue prend du temps, mais on peut penser qu’à échéance 2 ou 3 ans, elle sera effective. Insights 2030 : l’intégration, le temps réel, la prise en compte du court et du moyen terme