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« L’expérientiel », thématique largement diffusée et commentée depuis des années, est-elle encore d’actualité ?

Sophie Pastur

Diplômée d’un DESS Marketing, Sophie Pastur débute sa carrière chez un annonceur, à la direction commerciale et communication, puis rejoint le groupe Kantar, branche Insights, où elle exerce des responsabilités de Direction Conseil et Commerciale.

Ce qui la motive, c’est l’accompagnement des clients et des équipes dans la résolution de leurs enjeux business et son goût pour les problématiques de Marque, de Communication et Commerce.

Aujourd’hui Sophie Pastur est Directrice Produit Europe chez The NPD Group.


Plus que jamais. L’ensemble des marques, des acteurs économiques et experts s’accordent à dire qu’avec la multiplication des points de contact, l’essor de la digitalisation, amplifiée avec la crise sanitaire et l’environnement ultra-concurrentiel, l’enjeu est désormais de proposer aux consommateurs davantage de fluidité, de cohérence et d’expériences.

Pour se démarquer, il ne s’agit plus de proposer uniquement des produits et des services via une marque au positionnement clair et affirmé, mais de faire vivre des expériences mémorables qui viennent redéfinir le rapport entre le monde physique et le monde digital.

Certains d’affirmer que nous sommes en plein essor de « l’économie de l’expérience », créatrice de valeur, de sens et surtout de croissance. Introduit la première fois en 1988 dans un article publié par Joe Pine et Jim Gilmore dans la Harvard Business Review, le concept d’économie de l’expérience prend encore plus de valeur dans une économie bousculée par la crise sanitaire.

Le comportement des consommateurs a changé dans son rapport aux marques, à la consommation, au travail et aux nouvelles technologies. Aujourd’hui, les clients ne fondent plus leur fidélité sur le prix, le produit et le service. Au lieu de cela, ils sont fidèles aux marques en fonction de l’expérience qu’ils reçoivent et de l’authenticité de leurs discours.

Faire vivre des expériences aux consommateurs devient désormais un gage de performance commerciale. Sephora réussit son développement grâce à une expérience client bien calibrée et en phase avec les attentes de l’époque. Les DNVB (Digital Native Vertical Brands) en ont fait le pilier de leur business model en offrant aux consommateurs plus qu’un message et un produit, un univers, en associant intimement produit et expérience.

« Expérientiel », synonyme de croissance ?

Il semblerait que oui. De nombreuses enquêtes mettent en évidence le lien entre une expérience client réussie et croissance des entreprises.

Une étude d’Euromonitor intitulée « Global Consumer Survey » parue en 2017 indiquait que les  dépenses liées à l’économie de l’expérience atteindront 8 200 milliards de dollars d’ici à 2028.

Une étude réalisée par Medallia et Ipsos en 2018 révélait déjà, avant la pandémie, que les consommateurs sont aussi prompts à sanctionner une marque qu’à la récompenser en se basant sur leur expérience directe. 77% des répondants indiquaient déjà avoir choisi la marque d’un produit ou un service en raison d’une expérience satisfaisante avec cette marque. De même, 64% des répondants disent avoir évité une marque en raison d’une mauvaise expérience sur l’année antérieure.

La crise sanitaire et ses conséquences n’ont fait que renforcer le désir des consommateurs pour une expérience fluide et sincère de la part des marques. D’ailleurs, les entreprises et marques qui ont réussi à rester proches de leurs clients en temps de crise, à se montrer flexibles et réactives en délivrant une expérience réussie ont su tirer leur épingle du jeu.

Une croissance pour tous ?

Si « l’expérentiel » est une seconde nature chez Sephora, pour ne citer qu’elle, cela reste encore un défi de taille pour de nombreuses marques et entreprises, d’autant plus que « l’expérentiel » vient bousculer les schémas historiques d’organisation, de pensée et d’action des entreprises.

Qui dit « expérience », dit fluidité, souplesse, agilité et omnicanalité, et donc transformation dans la manière de gérer sa marque, ses points de contacts, ses clients, sa relation client et son organisation. D’un mode en silos, où chacun travaille sur la réussite d’une des facettes d’une marque, une approche « l’expérentielle » pousse à envisager la gestion d’une marque, et par ricochet l’entreprise, de manière plus cohérente et holistique.

Cette approche intégrée reste encore un défi pour de nombreuses marques et entreprises, mais se révèle profitable.

Accenture publiait en 2020 les résultats de leur étude auprès de 1 500 dirigeants d’entreprise. Ils ont constaté que les entreprises qui adoptaient le modèle de la « Business Expérience », c’est-à-dire celles qui dépassaient le cadre seul de la « Customer Expérience » et s’organisaient complètement autour de la fourniture d’expériences exceptionnelles, étaient bien plus performantes en en termes de croissance d’une année sur l’autre, que celles axées seulement sur l’expérience client.  

Quels défis et opportunités pour les études marketing ?

Accompagner les marques à relever ce défi de « l’expérentiel » au sens large est une opportunité pour les instituts d’études en proposant des solutions d’accompagnement plus globale et intégrées.

La première étape est de s’entendre sur cette notion « d’expérience »

Quand on pense à « l’expérience », c’est majoritairement « l’expérience client » qui vient à l’esprit. Largement étudiée dans l’univers des services où la relation avec le client était la plus manifeste et en conséquence la plus demandeuse en termes de mesure et de pilotage, elle se confond avec la notion de « relation client ».

Avec le développement du digital et des enjeux d’omnicanalité cette notion d’expérience s’étend désormais au parcours d’achat avec le défi d’assurer une fluidité de parcours entre les canaux de rencontre avec le consommateur. Mais il est tout aussi pertinent de parler « d’expérience de marque » qui, si elle se confond avec « l’expérience client » pour certains,  est une notion différente, voire complémentaire.

« L’expérience de marque » peut être considérée comme une notion plus large et légèrement différente de celle de « l’expérience client » dans la mesure où un individu peut percevoir et évaluer une expérience de marque sans pour autant en être client. Ces 2 notions cohabitent et se nourrissent mutuellement. C’est en les réconciliant que la valeur est apportée.

L’expérience est finalement un concept riche, aux multiples facettes. Selon Colin Shaw et J.Ivens : « l’expérience client correspond au vécu et la perception par le client de l’ensemble des interactions et relations avec une entreprise, une marque, des produits et services. Elle couvre aussi bien les champs fonctionnels (ce que fait le client) qu’émotionnels (ce qu’il ressent) »

En considérant « l’expérience » de manière multidimensionnelle, cela permet d’intégrer les problématiques de relation client, de satisfaction, de parcours, de commerce, de digital, mais aussi celles de l’engagement et plus largement celles du vécu, de la perception de marque, du ressenti, de la cohérence, de la nouveauté et du sens.

La deuxième étape est d’adopter une approche 360 degré de « l’expérience ».

C’est-à-dire proposer une architecture de solutions et d’accompagnement autour d’un concept d’expérience au sens large, réunissant le concept « d’expérience de marque » et celui « d’expérience client » pour une approche holistique.

Les instituts d’étude marketing ont le savoir-faire et l’entière légitimité pour répondre aux enjeux et besoins des entreprises en proposant des solutions d’accompagnement qui abordent l’expérience sous forme d’un continuum, en conciliant « expérience de marque » et « expérience client », et ce à destination de n’importe quel secteur d’activité. Les  consommateurs eux-mêmes comparent des expériences de marque de secteurs très différents.

Au-delà du terme, « l’expérientiel » c’est aussi un état d’esprit et une organisation, probablement nouvelle, à mettre en place en alignant la recherche, la conception de nouvelles solutions et l’engagement avec ses clients. L’hybridation des solutions, des différentes sources de données et des talents sont autant d’éléments sur lesquels s’appuyer. Certains instituts l’ont déjà initié dans leur façon de fonctionner, en repensant leur organisation sous ce prisme. D’autres se dotent de compétences complémentaires en créant des fonctions du type ‘User Research and Design » avec pour objectif de délivrer une expérience client plus optimale. Il sera intéressant de suivre de près l’impact de ces initiatives.

En conclusion

Les  entreprises de demain devront repenser l’ensemble de leur organisation et activités au prisme de « l’expérentiel ». Les consommateurs le réclament et c’est une source avérée de croissance. Les instituts d’études marketing ont une opportunité pour s’inscrire dans l’accompagnement de ce changement, en revoyant aussi leur propre façon de fonctionner et leur raison d’être.