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De l’hybridation des données vers le dialogue des données

Philippe Lemagueresse

Directeur Général Adjoint d’OpinionWay,
en charge du Hub Hybridation des données

25 années d’expérience professionnelle dans l’insight et la data consommateur.

Diplômé de l’Institut Commercial de Nancy et du MBA Digital Marketing and Business (2020), auteur d’une thèse professionnelle consacrée aux relations entre Data et prise de décisions marketing


L’édition 2019 d’une étude récurrente de PWC auprès de décideurs internationaux de grandes compagnies révélait une situation paradoxale :95% des décideurs considéraient que la data est essentielle pour prendre une décision marketing. Mais seulement 15 % estimaient que les données à leur disposition étaient complètes (soit moins encore qu’en 2009 – 21 % !).

Le paradoxe : Plus de données ne signifie pas forcément des décisions plus faciles à prendre

Entre ces deux enquêtes, le volume des données disponibles a singulièrement cru, porté par le déploiement de la transformation numérique. Désormais les parcours, les comportements, les échanges laissent des traces – structurées ou non comme les textes ou les images – qui peuvent être collectés, stockés, traités et exploités.

Peut-être ne faut-il pas exploiter toute cette avalanche de données et simplifier la vie des décideurs ? Après tout, ce n’est pas parce qu’elles sont disponibles qu’il faut nécessairement essayer d’en tirer parti !

Cela dit, les organisations ont besoin de davantage de données pour au moins 3 raisons

Hypothèse que nous rejetons ! Car nous pensons que le besoin en données est aujourd’hui plus indispensable qu’hier. Et ce, pour au moins trois raisons :

  • Dans notre monde devenu VUCA (Volatility, Uncertainty, Complexity, Ambiguity) la donnée est un ingrédient indispensable pour nourrir un « contre VUCA » (Vision, Understanding, Clarity, Agility). Les entreprises peuvent y puiser à la fois les moyens de s’adapter et de renouveler en profondeur leur activité (cf. par exemple le pivot de Carrefour lié à la data)
  • La donnée est un ingrédient indispensable également pour créer de la différenciation marketing, source de valeur et de croissance pour la marque. La data apporte :
    • La connaissance indispensable sur le client ;
    • La pertinence nécessaire pour adapter les offres faites au client ;
    • La transparence réclamée par le client sur les agissements de la marque pour générer la confiance.
  • Pouvoir optimiser la performance (= réduire les coûts) de la fonction marketing et de toutes les autres fonctions de l’entreprise, notamment à l’aide d’algorithmes d’Intelligence Artificielle.

Mais avoir besoin de données ne signifie pas que les organisations sachent comment s’y prendre !

Et après tout, c’est normal. Le temps où les données étaient rares, chères, longues à produire, etc. n’est pas si loin. La prise de conscience de ce nouveau paradigme semble désormais majoritairement réalisée par les organisations. Mais elles doivent faire face à de nombreuses difficultés. Toute la chaine de production des données (depuis la collecte jusqu’à la prise de décision et la mesure des effets) regorge d’écueils, fourmille de chausse-trappes (fiabilité de la collecte, documentation des données, accès aux données, etc.).

Nous souhaitons attirer l’attention sur l’une d’entre elles.
Les données, nouvelles ou plus anciennes d’ailleurs, sont souvent traitées en silo dans les organisations. Par exemple, les réseaux sociaux à la direction de la communication, les interactions digitales à la direction de l’expérience client, les données déclaratives à la direction insight, etc.

Et, ce faisant, là où on pouvait espérer de la clarté, on rajoute à la confusion.

Plaidoyer pour l’hybridation des données : 3 grands bénéfices

Hybrider les données, c’est relier des données entre elles. Passer du sens dessus dessous au sens par-dessus tout :

  • Soit directement parce qu’une clé existe. Par exemple, des données déclaratives d’une enquête marketing avec des données transactionnelles d’un CRM relié par le courriel d’un compte client.
  • Soit indirectement. Par exemple, une analyse des mots clés tapés dans les moteurs de recherche sur les candidats à une élection avec les intentions de vote ou l’image des candidats.

L’hybridation des données apporte plusieurs bénéfices :

1 – Une réduction du risque

N’oublions pas la vocation première des données : éclairer la prise de décision. Chaque source de données présente des avantages, des limites et des risques. Les données déclaratives bien entendu…mais aussi (soyons aussi exigeants envers ces sources !) toutes les données de navigation web, de CRM, etc.
Recourir à plusieurs sources permet de pallier plus facilement les limites de chacune, de challenger leurs conclusions, de renforcer la solidité lorsqu’il y a cohérence et de développer la vigilance lorsque les données issues des différentes sources divergent.

2 – Une compréhension augmentée

Reprenons l’exemple de l’enquête déclarative avec les données CRM. Ces dernières expliquent la structure du CA de la marque. Comment il se construit : nombre de clients, fréquence d’achat, catégories de produits, quantité achetée, fréquence, etc. Tandis que l’enquête éclaire le pourquoi : choix de ce commerçant ? de la catégorie ? qualité de la relation ? etc.

L’exploitation d’une source additionnelle de données permet également de changer de regard sur une problématique. Par exemple, pour une enquête sur une institution comme la justice ou sur des distributeurs alimentaires, l’ajout de la distance physique entre l’adresse du répondant et la représentation la plus proche de l’institution (le Tribunal de Grande Instance) ou du distributeur (le magasin physique) permet de révéler des disparités qui restent dans l’ombre sans cet éclairage.

Et ce n’est pas la complexité technique qui est bloquante ici. C’est l’ouverture d’esprit qui souvent fait défaut !

3 – Une activation plus efficace des résultats

Dans un environnement plus fragmenté avec la multiplication des canaux de communication, d’interactions, d’achat, etc. et une aspiration des consommateurs à une relation plus adaptée à leurs besoins, l’hybridation des données présente encore des opportunités pour mieux activer les résultats

Par exemple, autant les études déclaratives permettent, en général, d’apporter de la compréhension, autant elles peuvent être plus difficiles à traduire en actions opérationnelles. Il est loin le temps où les simples critères socio-démographiques permettaient une activation efficace ! La possibilité alors de relier des segments identifiés dans une enquête déclarative avec des données activables comme la localisation géographique, un comportement CRM ou une navigation Web permet plus facilement de déclencher une activation. 

De plus, ces différents types de données émanent souvent de départements distincts dans les organisations (ici, Département CRM/ Data et Département Insight). Une formidable opportunité de faire collaborer les différentes entités, grâce à la donnée. Pour une meilleure performance pour l’entreprise et une meilleure expérience pour le client final.

De l’hybridation des données vers le dialogue des données

La mise en relation de différentes sources de données ouvre également la voie à un véritable dialogue des données et à un apprentissage en continu pour les organisations.

Par exemple, l’analyse des données massives comme celles de données transactionnelles à l’aide de KPI (pour ne pas se noyer dans le déluge des données), permet de dresser un bilan de la situation de la marque : Les activités qui progressent, qui sont stables ou qui régressent. Des hypothèses peuvent être émises pour expliquer ces mouvements.
Si l’on organise la boucle retour avec les clients finaux (via une étude, une communauté de clients, etc.), il est alors possible de valider ou d’infirmer ces hypothèses. Et pourquoi pas, de tester des actions correctrices auprès de ces clients. Une fois mises en place, les effets de ces actions peuvent être mesurés. Et on recommence un cycle qui permet à l’organisation de devenir apprenante et de gagner en performance.

« La valeur d’une donnée est proportionnelle au carré du nombre de données auxquelles elle est associée. » – Bruno MARZLOFF