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Market Research dans le monde d’après, avec Anne-Sophie Damelincourt

Anne-Sophie Damelincourt est la fondatrice de Blue Lemon Insight & Strategy. Passionnée par l’étude des comportements et par la transformation digitale de nos organisations et de nos sociétés, elle intervient dans des conférences en France et à l’international ainsi que dans de multiples supports pour partager son expertise de la Data, de l’Insight et de leur application.

Après un parcours Marketing chez l’annonceur (Lactalis & Unilever), puis chez Nielsen et en agence de Conseil Marketing, Anne-Sophie accompagne la stratégie des marques pour valoriser leur capital émotionnel et les placer dans le cœur des consommateurs/clients. Anne-Sophie est par ailleurs très impliquée au niveau associatif pour accompagner le changement du secteur des Etudes et de l’Insight (Esomar, AQR, QRCA).


Analytics & Insights : La crise sanitaire a profondément secoué le monde de la connaissance clients/ consommateurs : pour toi, s’agit-il plus d’une rupture ou d’une accélération de tendances déjà existantes ?

Anne-Sophie Damelincourt : La crise sanitaire a profondément ébranlé le monde de la connaissance clients/ consommateurs, notamment dans les pays d’Europe qui avaient peu anticipé les changements que notre secteur et que nos sociétés traversent depuis plusieurs années. Cette évolution générée par le développement exponentiel de la digitalisation a conduit à la création d’univers parallèles à notre industrie des Etudes Marketing & d’Opinion (Consumer & User Experience, Business Intelligence, ..), tous au service de la création de valeur au sein des entreprises et des sociétés.

Dans ce contexte, la crise mondiale de la Covid19 et ses impacts comportementaux, organisationnels et budgétaires notamment, ont favorisé l’accélération de la digitalisation et des outils technologiques. Il ne s’agit donc pas d’une rupture en tant que telle, même si la vraie rupture s’est opérée du point de vue des consciences, comme s’il s’agissait d’un électrochoc (nécessaire) !

Analytics & Insights : Face à une telle accélération, il faut faire preuve de souplesse, d’agilité ? Savoir réagir dans l’urgence, répondre vite aux demandes, c’est capital ; mais il ne faut pas perdre de vue le plus long terme, les évolutions sociétales lourdes …

Anne-Sophie Damelincourt : L’agilité est clé dans la prise de décisions tactiques et rapides afin d’anticiper des comportements et de répondre au plus près aux consommateurs/clients. Nous vivons dans l’ère du « click & buy », dans le monde d’Uber et d’Amazon, de l’immédiateté. Les organisations doivent s’adapter à ce changement de paradigme et l’agilité y répond. Le Consumer Experience / l’expérience client fonctionne de la sorte, dans l’instant, pour se placer au cœur de la décision. L’agilité n’est donc pas l’apanage des Etudes Marketing & d Opinion, mais en tant qu’experts de la data nous nous devons d’adopter une attitude, des pratiques et des budgets qui répondent avec agilité à certains sujets.

En revanche, l’agilité n’est pas pertinente pour traiter des tendances de fond ou émergentes, ou des sujets stratégiques, pour anticiper des modifications profondes de comportements. En ce sens, il est déterminant d’identifier les problématiques et les actions stratégiques, le long terme, et de les différencier de ce qui est du ressors du tactique, du court terme, sachant que la notion de long terme s’est elle-même redessinée. Terminés les business plans ou les plans marketing à 3 et 5 ans ! Mais place à la vision, au cap, et au très court terme, à notre capacité à réagir rapidement et à nous adapter dans ce cadre et cette vision prédéfinies.

Analytics & Insights : Il y a aussi le problème de la data : de plus en plus de données, parfois hétérogènes ; sans oublier les communautés internes …

Anne-Sophie Damelincourt : L’accélération que nous mentionnons s’est matérialisée par l’explosion de la data et de ses applications au bénéfice du développement des marques et des organisations, avec un nombre croissant de sources et de données en elles-mêmes, internes et externes, actives et passives. Certaines entreprises aujourd’hui sont submergées par cette masse de données très hétérogène, et évoluent dans un monde extrêmement fragmenté : Consumer Experience/CX, Etudes /MRX, Social listening, Intelligence Artificielle, Business Intelligence, Data Analytics, Data Mining, etc,… avec une vision finalement très orientée sur les outils en eux-mêmes plutôt que sur leur vocation. Ils constituent un moyen pour définir et comprendre des émotions, des opinions et des comportements, et pour in fine servir la prise de décision et l’action.

D’où une perte de repères et surtout une perte de vue de l’objectif : la connaissance du consommateur / client au service de la création de valeur, commerciale et non commerciale.

Analytics & Insights : La connaissance consommateurs devient centrale : comment infuse-t-elle dans l’entreprise ?

Anne-Sophie Damelincourt : Des entreprises de renommée mondiale comme Amazon, Séphora, Netflix, Office Depot, et tant d’autres placent la relation, la connaissance et l’expérience consommateur/client au coeur de leur process et de leur culture d’entreprise. Les entreprises nées dans la digitalisation ont naturellement placé la connaissance client au centre de leur organisation, car elle est directement issue de la technologie. Pour les entreprises plus ‘traditionnelles’ et le retail, la démarche a été volontaire, impliquant des changements de fond et nécessaires. Il est très intéressant de noter, par exemple, comment Sephora, historiquement marque de retail traditionnel a su mener sa transformation digitale, grâce à des outils technologiques qui permettent tout au long de la chaîne de valeur et du parcours du consommateur, d’identifier, d’analyser, d’anticiper ses comportements et ses intentions. La marque a su également proposer des expériences clients bien spécifiques, online et offline.

Cet écosystème, pour être performant, requiert quelques principes et parmi les suivants :

  1. Mener les bons combats. La Data et bel et bien là, et pour quelques années encore (rires). La valeur générée par les entreprises du digital et notamment par les ‘big five’, les GAFAM est colossale. Ne nous battons par contre des géants. Mais créons avec eux, avec nos propres valeurs (notamment éthiques et de consentement), nos expertises et savoir-faire, les liens qui permettront de participer à cette création de valeur sans précédent, plutôt que d’opposer des univers, des personnes, des cultures, des outils qui ne sont pas opposables mais bien complémentaires pour anticiper ou appréhender une situation et y répondre. N’oublions pas en cela que si la donnée n’est plus la propriété des Etudes Marketing & d’Opinion, nous avons un rôle fabuleux à jouer grâce à nos compétences analytiques, d’interprétation, de synthèse et d’accompagnement à la prise de décision.
  2. Décloisonner, défragmenter, intégrer les multiples sources et systèmes, les compétences. Associons l’expertise humaine et technologique et nourrissons-les mutuellement : « l’art et la manière », l’art et la science. Et pour ce faire, intégrons de nouvelles compétences, avec des expertises techniques, en communication/narration, en data visualisation et en conseil.
  3. Repenser sa culture d’entreprise, son organisation, son état d’esprit avec une vraie culture de la réussite, de l’empathie, de l’écoute, de la flexibilité, mentale et opérationnelle, de la créativité pour nourrir l’innovation. Repenser son offre avec des services et des solutions rapides, compétitives, tactiques d’une part, et plus stratégiques, longues à livrer, et de budget plus conséquent, d’autre part.

En tant qu’Industrie de la Data et de l’Insight, les acteurs des Etudes marketing & d’Opinion ont un rôle majeur à jouer dans cette transformation.

Réagissons, reprenons le leadership !