Philippe Rondeau
« Marketeur Durable ». Au cours de ses 25 ans de carrière dans le marketing d’abord en grande distribution puis dans l’industrie agroalimentaire, il développe, notamment en tant que Responsable Marketing chez Sodebo une approche « consumer centric » qui lui permet de mieux appréhender les contradictions et les enjeux autour de la transition alimentaire.
C’est donc tout naturellement qu’il met à profit son savoir-faire marketing au sujet du Développement Durable en développant une vision holistique à la fois prospective et prenant en compte les contraintes opérationnelles de l’entreprise.
Membre du Comité Scientifique de l’Adetem.
Analytics & Insights : La crise sanitaire a profondément secoué le monde des études marketing et de la connaissance consommateurs : pour toi, s’agit-il plus d’une rupture ou d’une accélération de tendances déjà existantes ?
Philippe Rondeau : Le premier confinement a tellement modifié tous les repères en termes de consommation et plus globalement de fonctionnement de la société (mobilité, travail, loisirs…) qu’il a remis en cause toutes les certitudes que nous avions construites, à la fois sur nos méthodologies et sur nos connaissances. Nous avons alors pensé qu’il y aurait un monde d’avant et un monde d’après.
Nous avons pensé que les consommateurs avaient ou allaient profondément changer, revoir durablement leurs habitudes, que la consommation n’aurait plus la même place dans nos sociétés.
Nous avons pensé que nous devrions imaginer de nouvelles manières d’interroger les consommateurs, que les méthodes digitales s’imposeraient définitivement, que l’analyse des datas serait la pierre angulaire de la compréhension.
Un an après, nous faisons le constat que si ces phénomènes sont vrais, ils ne sont pas aussi forts que ce que l’on pouvait imaginer (ou craindre) et qu’ils existaient déjà auparavant. Il n’y a donc pas eu de rupture mais bien une accélération des tendances.
Désormais encore plus qu’avant le monde des études fait face à deux grandes problématiques :
- L’adaptation du temps de la connaissance et de l’analyse au temps de la décision et de l’action,
- La nécessaire simplification des enseignements des études pour une meilleure intégration par les métiers au risque de gommer la complexité des comportements et de réduire la population en « typologie moyenne » qui finalement ne représente aucune réalité.
Analytics & Insights : Face à une telle accélération, il faut faire preuve de souplesse, d’agilité …
Philippe Rondeau : Il faut faire preuve d’adaptation, adaptation aux nouvelles attentes au sein de l’entreprise (questions nouvelles, timing plus court…), adaptation aux nouvelles contraintes pour mener des études et adaptation aux nouveaux biais possibles (influence du contexte dans les réponses). Cela nécessite de se remettre en cause, revoir ses méthodes, en tester de nouvelles… Mais cela nécessite d’être encore plus rigoureux et de faire en sorte qu’une étude ne soit qu’un élément parmi d’autres pour éclairer une situation et pas l’élément déterminant sur lequel fonder une décision.
Analytics & Insights : Savoir réagir dans l’urgence, répondre vite aux demandes, c’est capital ; mais il ne faut pas perdre de vue le plus long terme, les évolutions sociétales lourdes …
Philippe Rondeau : C’est très certainement le risque majeur de la période actuel : ne se focaliser que sur le court terme, ne travailler que dans l’urgence, apporter des réponses trop simples voire simplistes, oublier la nuance et la complexité.
Or, c’est justement parce que nous vivons une période de grande incertitude, donc de grande complexité (cf. Edgar Morin) qu’il faut savoir aussi prendre le temps d’appréhender cette complexité pour mieux la comprendre et trouver ainsi comment y tracer sa voie. Pour cela il faut croiser les temps courts et les temps longs (en quoi les phénomènes actuels s’inscrivent ou non dans des tendances lourdes), les approches macro et micro, appréhender à la fois les comportements, les aspirations, les jeux de contraintes et les jeux d’influence. Il est nécessaire de faire le tri dans tous les mouvements actuels entre ce qui est conjoncturel et ce qui est structurel, voire même entre ce qui est probable et ce qui est souhaitable.
Le marketing et la connaissance du consommateur ne doivent pas se résoudre à répondre aux demandes court-termistes des entreprises, qui souvent cherchent avant tout à être rassurées sur les choix qu’elles ont déjà opérées. Il faut surtout donner à réfléchir, permettre la remise en cause et ouvrir de nouvelles opportunités.
Analytics & Insights : La connaissance consommateurs devient centrale : comment infuse-t-elle dans l’entreprise ?
Philippe Rondeau : Pour faire « infuser » la connaissance consommateurs il faut d’abord une réelle volonté de l’entreprise, c’est-à-dire une capacité à être bousculé et remis en cause, sans jugement. Il faut au préalable une culture de l’empathie.
Il est essentiel que cette connaissance consommateurs ne se limite pas aux équipes marketing ou commerciales. Il faut que chaque métier en soit infusé et pour y arriver il faut savoir utiliser des moyens différents, adaptés aux enjeux de chaque métier. Les équipes en charge de la connaissance conso doivent être très créatives pour trouver les bons messages et les bons médias pour diffuser cette connaissance et faire ainsi ce cette connaissance un levier de progrès pour chaque métier.
La connaissance consommateurs ne doit pas rester une sorte de « culture générale » (c’est souvent la première étape) mais devenir un mode de pensée pour chaque métier, voire un indicateur de suivi pour chacun, l’idée étant que chacun se pose la question : « Qu’ai-je fait aujourd’hui pour nos consommateurs ? ».