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Market Research dans le monde d’après, avec Sonia Etienne

Sonia Etienne

Experte de la connaissance consommateur et des mesures d’efficacité depuis plus de 20 ans dans un univers data marketing et media, Sonia bénéficie d’une double culture Research & Data. 

Directrice Data, Mesures et Insights chez Publicis Media pendant 10 ans, elle a particulièrement travaillé sur des problématiques de connaissance des cibles, d’optimisation du parcours consommateur et d’efficacité des points de contacts on & off.

Elle intervient également à L’INSEEC en Master 2 – Marketing digital et communication.


Analytics & Insights : La crise sanitaire a profondément secoué le monde des études marketing et de la connaissance consommateurs : pour toi, s’agit-il plus d’une rupture ou d’une accélération de tendances déjà existantes ?

Sonia Etienne : Passé le choc que tout à chacun a ressenti, il y a maintenant plus d’un an, cette crise sanitaire a remis le consommateur sur le devant de la scène et au cœur des réflexions de tous les professionnels. La consumer centricity n’a jamais été autant une réalité et une nécessité.

Pour moi, il n’y a pas le monde d’avant ou d’après mais bien un monde dans lequel chacun doit s’adapter tous les jours, rapidement et en continu.

Tout comme le consommateur s’est adapté, en adoptant très rapidement de nouvelles habitudes notamment digitales, les experts de la connaissance consommateur ont dû le faire eux aussi en questionnant leurs pratiques, les méthodes en place et leur pertinence.

Il a fallu mettre en place de nouveaux modes de collecte et d’analyse des comportements quand cela était nécessaire, ou encore ajuster certaines méthodes utilisées depuis des années. Les approches qualitatives sont sans doute les plus symptomatiques avec le passage au tout digital. Mais il en est de même pour les approches quantitatives, ou même les segmentations CRM : comment gérer et appréhender dans le temps cette période atypique qui au départ devait durer quelques mois et qui finalement perdure ?

Ainsi, cette crise nous aura obligé à réfléchir sur nos métiers, et notre capacité à suivre et analyser le consommateur sous toutes ses facettes : humain, citoyen, consommateur, travailleur…. Elle nous aura finalement amené à dépoussiérer certaines pratiques, et faire la part belle à l’innovation.

Analytics & Insights : Face à l’accélération actuelle, il faut faire preuve de souplesse, d’agilité …

Sonia Etienne : Cela fait plusieurs années maintenant que l’agilité est au cœur de toutes les préoccupations. L’adoption rapide de nouveaux comportements, le nombre croissant de données et le manque de visibilité sur le futur, nous obligent en effet à faire preuve d’agilité.

Mais l’agilité est bien souvent confondue avec vitesse de collecte, ou encore approches moins fiables. Le digital et la big data ont renforcé ce besoin accru des décisionnaires à avoir accès rapidement à l’information en prenant parfois le risque de mettre au second plan la qualité et la valeur de la donnée.

Face à ce buzz word, il me semble intéressant d’en rappeler sa définition. Selon le Larousse, l’agilité c’est :

  1. « Légèreté, souplesse dans les mouvements du corps : l’agilité d’un acrobate, des doigts d’un pianiste » ;
  2. « Vivacité intellectuelle : une grande agilité d’esprit ».

L’agilité est donc l’habilité à changer rapidement de position, à faire preuve de dextérité, à agir rapidement, en un mot à s’adapter.

Être agile dans nos métiers, c’est donc savoir adapter nos approches mais aussi nos livrables. C’est innover, être créatif, jouer avec les différents outils et moyens à notre disposition en fonction du contexte et des objectifs de la mesure, tout en prenant en compte le facteur temps : court, moyen ou long terme.

Être agile, c’est remettre au cœur des pratiques, notre curiosité, notre capacité à observer, écouter et entendre non seulement les consommateurs mais aussi les besoins de nos clients/marques.

Analytics & Insights : Prospective, data, AI, neurosciences, communautés, etc. : dans quelles directions va se développer la recherche dans les mois qui viennent ?

Sonia Etienne : Dans ce monde incertain et difficilement prévisible, c’est le monitoring et l’anticipation des comportements qui vont sans aucun doute animer la communauté des études et connaissance consommateur, et ce quelle que soit la spécialité de chacun.

Les approches communautaires et/ou panels propriétaires, qui sont déjà utilisées par certaines marques, vont sans doute prendre de l’ampleur. Ces dispositifs permettent à la fois de rester connecter aux consommateurs, de mieux suivre leurs usages mais aussi favorisent une meilleure intégration de la voix du client aux enjeux des marques en le sollicitant sur des problématiques marketing ou produit, dans un esprit de cocréation. 

Plus largement les approches qualitatives, classiques ou plus poussées comme l’analyse des émotions, apparaissent indispensables pour accompagner dans la compréhension des nouveaux usages, et nous aider à distinguer les pratiques d’opportunité des tendances de fond.

L’exploitation des bases clients mais aussi des access panels va sans doute aussi s’intensifier, portée par la disparition des cookies tiers, et les difficultés croissantes associées pour suivre le comportement des parcours consommateurs sur le digital.

Ces usages devraient favoriser l’hybridation des données, notamment déclaratives et passives, afin de confronter le « quoi » et le « pourquoi », ou encore le « qui » et le « quoi », et ainsi aller plus loin dans l’analyse des nouvelles pratiques.

Enfin les recherches en analyse de données autour de la détection de signaux faibles, via le social listening notamment, ou encore la prédiction des comportements, quel que soit l’actif data, devraient-elles aussi faire l’objet de nombreux travaux afin d’accompagner les marques dans l’anticipation de demain.

Analytics & Insights : Et plus particulièrement concernant le monde de la data, et du recours nécessaire à l’IA …

Sonia Etienne : J’ai pour habitude de parler des datas et non de la data, tant il existe de multiples sources et sortes de données : études quantitatives et qualitatives, social listening, données transactionnelles, service client, données ad centric, site centric, géolocalisation… Chacune a de la valeur et représente un point de vue, une vérité différente et complémentaire sur le consommateur.

Bien entendu si on parle de big data, cette donnée volumétrique et très granulaire, nous avons besoin des techniques de traitement de la donnée spécifiques qui nous permettent de résumer, classer, identifier des corrélations, prédire certains comportements …

L’intelligence artificielle est une de ces techniques. Dans le champ de la connaissance consommateur, une de ses applications qui m’apparait aujourd’hui comme indispensable et encore sous utilisée, est l’analyse de toutes les données non structurées comme le texte, les visuels, ou même le son. 

Mais il faut garder en tête que la data science, le machine learning ou encore l’IA ne sont que des moyens et non des finalités. La data et les infrastructures technologiques ne sont rien sans l’intelligence humaine. La data n’est pas l’insight. L’insight ne s’autogénère pas, il résulte de la mise en perspective des données au regard des besoins, du contexte et des objectifs métier.

L’enjeu aujourd’hui est de transformer ces approches en vraie valeur ajoutée pour les organisations. Pour ce faire, il est nécessaire que les entreprises se dotent de plus d’analystes : de personnes capables de questionner la donnée (sa collecte et sa qualité), piloter en test and learn de tels projets, et traduire la donnée en insights opérationnels. Le but n’est pas de rendre la donnée intelligible, mais bien de la rendre intelligente.

A ce titre, et sans parler d’IA, la data story telling ou la capacité à démocratiser et rendre accessible simplement la valeur des données, est également un élément clé et stratégique. On ne compte pas le nombre de dashboards qui restent de jolies interfaces inutilisées par manque d’un travail d’UX en amont auditant les besoins de l’audience cible et l’usage de ces plateformes.

Analytics & Insights : De nouveaux acteurs issus du monde des technologies sont apparus dans le champ de la connaissance consommateurs ces dernières années : comment se situent les acteurs plus traditionnels dans ce nouveau paysage ?

Sonia Etienne : Il y a en effet beaucoup d’acteurs technologiques qui sont entrés dans le champ de la connaissance consommateur mais ils se positionnent souvent comme facilitateurs dans la collecte ou le traitement, et moins souvent sur l’analyse et la mise en avant des insights clés.

Il y a aussi en parallèle de plus en plus d’acteurs au sein des entreprises qui mesurent l’expérience consommateur : services études, équipes digitales, UX, CRM… Chacun travaille encore bien trop souvent en silo, alors que nous avons tous à apprendre les uns des autres pour toujours mieux appréhender le consommateur.

Dans ce monde pléthorique de données et signaux, les acteurs plus traditionnels ont toute leur place, et ne doivent pas hésiter à la prendre. Il est plus que jamais nécessaire d’avoir des professionnels de l’analyse ayant la capacité à contextualiser, dézoomer, mettre en perspective… Cette capacité à poser le « pourquoi » et prendre du recul les rend tout à fait légitimes à identifier la « bonne » donnée et la transformer en insight opérationnel.

Maintenant sans doute faut-il être encore plus à l’écoute des besoins des métiers au sein de l’entreprise. Il y a, je crois, un travail de (re)connection à faire avec l’opérationnel. La mise en œuvre du marketing est de plus en plus technique, il faut aujourd’hui être capable d’anticiper l’usage des insights afin de mieux s’intégrer aux enjeux des marques. Si on prend les segmentations marketing, qui restent indispensables, nombre de marques sont aujourd’hui frustrées dans leur mise en œuvre concrète, et la difficulté à traduire les différents segments en publics actionnables. Il faudrait penser ce dernier point dès la conception du projet.

A ce titre, il y a sans doute à apprendre des fonctions de Customer Success Manager dans les entreprises qui proposent des solutions technologiques. Les CSM ont pour principale mission de s’assurer que la solution et les données seront bien utilisées par leur client.

Nous n’avons jamais eu autant de matières et d’outils à notre disposition pour appréhender le consommateur dans toutes ses dimensions, et transformer l’insight en vraie valeur ajoutée.

Soyons toujours plus curieux, ouverts et à l’écoute. L’avenir s’annonce passionnant pour les fonctions études et connaissance consommateur !