Véronique Varlin
Directrice Associée de L’ObSoCo (L’Observatoire Société et Consommation), société d’études et de conseil en stratégie. Diplômée de l’ESSEC et forte d’une expérience de plus de 20 ans dans les domaines du conseil et du planning stratégique en agence de communication.
Analytics & Insights : La crise sanitaire a profondément secoué le monde des études marketing et de la connaissance consommateurs : pour toi, s’agit-il plus d’une rupture ou d’une accélération de tendances déjà existantes ?
Véronique Varlin : Notre conviction à L’ObSoCo depuis sa création il y a 10 ans est que nous traversons une époque de transformation profonde. La crise sanitaire a entraîné une accélération de tendances émergentes que nous avions déjà mis à jour dans nos travaux, telles l’appétence pour le local, l’aspiration à « consommer mieux » et de façon responsable, la numérisation des usages, le désir de ralentissement et d’ailleurs…
Mais des ruptures plus radicales se dessinent également dans le sillage de cet événement inédit que constitue la pandémie. La période a été favorable à l’introspection, invitant les Français à interroger leur rapport à la consommation, leurs modes de vie et au-delà, leurs priorités dans l’existence… Nous assistons à des bouleversements dans le rapport à la mobilité, au numérique ou au travail, avec l’importance qu’a prise le télétravail notamment, dont la portée disruptive peut être très profonde et s’installer dans la durée.
Analytics & Insights : Face à l’accélération actuelle, il faut faire preuve de souplesse, d’agilité …
Véronique Varlin : L’enjeu pour les acteurs est de parvenir à se projeter dans les mois qui viennent en prenant la mesure des tendances qui vont perdurer en sortie de crise. Cet exercice impose selon nous de combiner de l’agilité afin de détecter les signes avant-coureurs des évolutions structurantes de demain. Mais cette agilité doit aussi s’assortir de rigueur parce qu’il est nécessaire d’objectiver les tendances en présence et d’en évaluer la portée dans la durée. Le dispositif de suivi des impacts du Covid-19 que nous avons mis en place en continu depuis le premier confinement est un des exemples de la façon dont nos travaux visent à combiner agilité et rigueur en couplant approches qualitatives immersives et études quantitatives.
Nous avons constitué en mars 2020 une communauté de 50 Français de la population que nous avons interrogés quasi en continu et quotidiennement, adaptant les questionnements en temps réel au fil du temps. Cette interrogation nous permet de capter un précieux matériau que nous injectons ensuite dans des vagues d’enquêtes quantitatives régulières de façon à prendre la mesure détecter et suivre ces évolutions sur une base représentative en traçant des indicateurs marqueurs de changement.
Analytics & Insights : Savoir réagir dans l’urgence, répondre vite aux demandes, c’est capital ; mais il ne faut pas perdre de vue le plus long terme, les évolutions sociétales lourdes …
Véronique Varlin : Le paysage qui se dessine est complexe à décrypter tant se sont amplifiées, d’un côté des aspirations qui articulent des dimensions consuméristes, éthiques voire politiques, écologiques et existentielles, et de l’autre des inégalités qui fracturent la société. Des aspirations en tension avec tout un jeu de contraintes (économiques, sociales, symboliques…) qui pèsent diversement sur les individus en redessinant leurs projets et arbitrages. Dans le contexte de transformation que nous traversons, l’appréhension des tendances lourdes qui reconfigurent le paysage est plus que jamais vitale pour anticiper sur des évolutions qui s’accélèrent et préempter les gisements d’opportunité qu’elles recèlent.
Analytics & Insights : Prospective, data, AI, neurosciences, communautés, etc. : dans quelles directions va se développer la recherche dans les mois qui viennent ?
Véronique Varlin : L’enjeu central pour la recherche est de forger des explorations, analyses et concepts aptes à révéler des « nouvelles réalités » qui selon échappent aux dispositifs d’études habituels dans la mesure où ils se fondent le plus souvent sur des grilles de lecture relativement aveugles aux phénomènes émergents. Face à la complexité du paysage actuel, notre pratique se distingue par notre proximité avec le monde académique. Ce dernier inspire et nourrit nos travaux en nous permettant d’élaborer des hypothèses solides et inédites, en nous appuyant sur des méthodologies d’études quantitatives et qualitatives éprouvées. Des approches que nous combinons avec des dispositifs innovants : modélisations, simulations, analyses sémantiques augmentées…