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Market Research dans le monde d’après, avec Thierry Vallaud et Valentin Couderc

Valentin Couderc

Il est chargé de veille concurrentielle chez PRO BTP. Passionné par les problématiques géopolitiques et la géoéconomie, il est diplômé d’un Master en intelligence économique.

Thierry Vallaud

Il dirige la connaissance clients de ProBTP. Data scientist, passionné le média planning et par l’efficacité publicitaire, il est l’auteur d’une dizaine d’ouvrages et plus d’une centaine d’articles sur ces sujets et de nombreux modèles disponibles sur le marché. Titulaires de 3 doctorats et 6 masters il fait de la recherche en statistiques et en modélisation des comportements d’achat.


Analytics & Insights : La crise sanitaire a profondément secoué le monde des études marketing et de la connaissance consommateurs : pour vous, s’agit-il plus d’une rupture ou d’une accélération de tendances déjà existantes ?

Valentin Couderc : Selon moi, il ne s’agit pas d’une rupture au sens propre. Le Covid a juste servi de facteur amplificateur, exacerbant des tendances qui ne sont pas, en soi, nouvelles. Plus de data avec une prééminence du low-code, une digitalisation tous azimuts, une course à la vitesse en somme. A ceci s’ajoute cette logique de mass-personnalisation, logique qui n’est pas à décorréler de l’affirmation des plateformes et autres pure-players qui ont installé des nouveaux standards (Uber, Netflix, Booking.com, etc.). Ces acteurs captent la majorité des data, influencent les nouvelles attentes des consommateurs, bouleversent les écosystèmes existants… Ce mouvement, cette lame de fond, n’est absolument pas nouvelle. Le Covid, lui, a mis en exergue cet état de fait, souligné certains retards, provoqué peut-être une plus grande prise de conscience…

Thierry Vallaud : Si je me focusse plus sur le « Marketing Research », je pense que c’est une continuité : la mutation des études au sens large a commencé dès les années 90 mais s’accélère avec le Covid qui lui-même à accru la digitalisation. Les études aujourd’hui sont une hybridation entre la data et les études plus classique quanti/quali. Parfois elles se substituent l’une à l’autre, parfois elles se complètent.

Le digital rends le « do it yourelf » études et data possible comme jamais au paravent. Les instituts d’études classiques doivent se réinventer, plus internationaux, plus gros, ou beaucoup plus spécialisés sur certains sujets.

Analytics & Insights : Face à une telle accélération, il faut faire preuve de souplesse, d’agilité …

Valentin Couderc : Cela va de soi en effet. A la souplesse et l’agilité, je rajouterais l’adaptabilité. Il faut être réactif aux changements, les comprendre, les cerner. Bien sûr, encore faut-il s’en saisir. Sortir du « vide stratégique » pour reprendre le concept de Philippe Baumard. C’est tout une gymnastique. Cela demande donc d’ouvrir ses chakras, voir ce qui se fait dans des environnements bien différents mais aussi dans des disciplines différentes. En somme, il s’agit de développer une « intelligence de situation », autrement dit façonner des grilles de lecture adaptées pour impulser une dynamique constructive et positive. En cela, emprunter les outils de l’intelligence économique (ma discipline première) peut s’avérer être une nécessité.

Thierry Vallaud : Oui évidement c’est une tautologie. D’un autre coté le mot « agile » est un mot galvaudé, employé à toutes les sauces souvent du reste par les moins agiles. C’est le concept de « moins tu as d’agilité, plus tu l’étales ». En fait l’agilité cela ne se décrète pas, cela peut s’apprendre mais il faut une clairvoyance entre processus et agilité. La nature humaine adore réfléchir des heures sur de longs process, cela donne l’impression de « faire quelque chose ». Souvent malheureusement c’est contre-productif et tout sauf agile.

Analytics & Insights : Prospective, data, AI, neurosciences, communautés, etc. : dans quelles directions va se développer la recherche dans les mois qui viennent ?

Valentin Couderc : Je laisse la Data et l’AI à Thierry, étant un moins spécialiste en la matière. Pour moi, le domaine de la prospective mérite que l’on s’y arrête. La démarche est difficile, c’est vrai. Cela nécessite de faire abstraction de certaines logiques / méthodes considérées comme acquises voire indispensables pour sortir de sa zone de confort. Appréhender de nouveaux paradigmes.

Le Covid est un cas intéressant. Cette pandémie a souvent été présentée comme un « cygne noire », autrement dit un événement peu probable aux conséquences considérables. Je n’y crois pas et, d’ailleurs, Nassim Nicholas Taleb, statisticien et théoricien de cette notion, lui non plus. Un très grand nombre de travaux de prospectives considérait le risque pandémique comme probable. C’est plus la préparation à ce type d’événement qui a pêché.

Thierry Vallaud : En fait un peu tout cela, là aussi ce sont souvent des sujets modes surmédiatisés. L’important est de pouvoir identifier le buzz et le bull shit du fait réel.

Analytics & Insights : Et plus particulièrement concernant le monde de la data, et du recours nécessaire à l’AI …

Valentin Couderc : L’AI (et donc la data) devient un facteur de rivalité géostratégique. C’est indéniable. Prenons la Chine et les Etats-Unis. Il n’est pas possible de lire cette confrontation sans analyser le volet technologique. En clair, la Chine s’est donnée pour objectif de rattraper les Etats-Unis dans plusieurs domaines stratégiques (dont en matière d’AI) pendant que les Etats-Unis cherchent à maintenir sa supériorité technologique. Gageons que cette conflictualité entre les deux puissances devrait s’intensifier. 

Et à côté de cela, une autre tendance cette fois-ci très européenne : une volonté effrénée de la part de l’UE de réglementer autour des plateformes (DMA, DSA, etc.) mais aussi autour de l’AI.

Thierry Vallaud : Le mot AI est utilisé à toute les sauces. Je parlerai de data science, de machine learning. Celui ci va se développer et se rependre dans toutes les fonctions de l’entreprise. Des outils « no codes » ou « low codes » vont permettre de le mettre dans plus de mains et donc d’en généraliser les usages concrets. C’est la fin des POCs, la fin des cellules data décorrélées des métiers, le début d’une data « productiviste » en espérant en arrière plan que le législateur ne fasse pas de la data une usine à gaz juridique comme on sait si bien le faire en France pour nous faire perdre notre avantage compétitif face à des pays comme les USA, la Russie, la Chine cités par Valentin … tout en évitant les dérives liberticides qui sont plus souvent le fait des états eux même que du secteur privé.